mardi 3 janvier 2012

Négoce de savoir-faire informatique [jan 2012]

Jalousement gardé dans le secret de l’entreprise, le savoir-faire pourrait avec les usages innovants de la propriété intellectuelle devenir un objet de négoce. Le secteur informatique offre quelques exemples précurseurs.

L'article en cinq mouvements de pensée : 
  1. Retourner aux sources : un manuel qualité écrit par l'administration anglaise pour gérer l'informatique du début des années 90
  2. Contempler le cheminement de perception en France : "Best Practices", "language commun", "référentiel SI"
  3. Rapprocher ce cheminement des travaux académiques portant sur les "pratiques institutionnalisées"
  4. Mettre en perspective des éléments d'une entreprise en droit d'auteur
  5. Examiner un autre cas : une "best practice" sur commande


Auteur : Tru Dô-Khac
Sortie officielle sur Le Cercle Les Echos, 3 janvier 2012
Régime d'utilisation : Code de la propriété intellectuelle, France
Accès à l'article sur www.lesechos.fr  : aux conditions Les Echos au jour de la publication de l'article (cf. note de bas de page de l'article "L'Europe de la confiance numérique : après les données personnelles, le droit d'auteur") 
Note de l'auteur :
Sur L'Entreprise Numérique Créative, une galerie de 40+ modèles d'affaires numériques, le modèle A100 :


Références :
[1] En France, c'est un duopole formé par Bull et IBM
[2] Union Internationale des Télécommunications,
[3] Norme CCITT M.30 dont les « drafts » sont sortis en 1989.
[4] itSMF, UK ITIL® and IT Infrastructure Library® are registered trade marks of Cabinet Office. En l'absence de travaux académiques d’historiens, il est délicat de faire la part entre l’histoire et la communication d’entreprise et nous invitons nos lecteurs à commenter les cas échéant nos informations.
[5] Réalisée de mai à avril, cette enquête en ligne a la particularité de produire des statistiques transparentes : mises à jour en temps réel, les statistiques sont présentées au répondant ou simple visiteur dès la fin du questionnaire sans obligation d’enregistrement, permettant d’en suivre la construction et en apprécier la pertinence. http://www.open-creative-survey.eu
[6] « Réponses stratégiques des gestionnaires de projets SI aux influences des pratiques de gestion institutionnalisées ». Muriel Mignerat et Suzanne Rivard, Congrès de l’ASAC, Juin 2007.
[7]Official ITIL ®Website,  Intellectual Property, Trademark (and copyright) licensing. La politique de gestion des droits étant en cours de révision, l’accès à certaines pages a été supprimé.
[8] Press release Nov 19. 2001, Pittsburgh. “Carnegie Mellon launches system to rate IT-enabled outsourcing services providers with support from Satyam Computer Services, Ltd Accenture and others”.
[9] CMMI. La Best Practice en question est désigné par eSCM, « eSourcing Capability Model ». Ses droits sont actuellement exploités par une spin-off de CMU, ITSqc LLC.


Mise à jour du 16 août 2014 
La propriété des ouvrages ITIL ayant été transférée à la société Axelos, une filiale d'une entreprise de services numériques basée au Royaume-Uni (press release sur le site The Cabinet Office UK),
[4] il faut dorénavant lire à la place de ITIL® and IT Infrastructure Library® are registered trade marks of Cabinet Office", "ITIL® is a Registered Trade Mark of AXELOS Limited"
[7] on peut prendre connaissance de la gestion des droits sur le volet du site produit par AXELOS "Intellectual Property rights".





Négoce de savoir-faire informatique 
Tru Dô-Khac, 3 janvier 2012, Le Cercle Les Echos

Jalousement gardé dans le secret de l’entreprise, le savoir-faire pourrait avec les usages innovants de la propriété intellectuelle devenir un objet de négoce. Le secteur informatique offre quelques exemples précurseurs.

Source d’avantage compétitif, le savoir-faire est soigneusement protégé par le sceau du secret. Lors d’événements exceptionnels tels qu’une introduction en bourse, une fusion acquisition ou une externalisation, une communication sur sa nature hors des murs de l’entreprise est parfois émise. Néanmoins, quelques entreprises visionnaires considèrent le savoir-faire comme un objet négoce autonome. C’est le cas de l’administration anglaise qui au début des années 90 mettait sur le marché son savoir-faire en gestion de systèmes d’information.

Bibliothèques d'ouvrages de gestion informatique 
En ces années-là, la gestion informatique, que les professionnels du secteur désignent aujourd’hui par gestion des systèmes d’information [pour entreprise], est encore embryonnaire. L’informatique est simplissime : des applications procédurales en Fortran ou Cobol tournant sur un système central fourni à choisir parmi une poignée de constructeurs [1]. La fiabilité du système informatique étant assurée par l’offre du constructeur qui est par ailleurs déterminé par des considérations stratégiques, le savoir-faire critique pour l’entreprise est le développement des applications, que celui-ci soit interne ou sous-traité.

En revanche, pour les opérateurs [nationaux] de télécommunications, l’interconnexion des réseaux, la disponibilité de bout en bout et l'interopérabilité constituent le cœur de métier. Regroupés au sein de l’UIT depuis 1865 [2], ces opérateurs développent des normes techniques, mais également des normes administratives de gestion de réseaux de télécommunications : Fault Management, Configuration Management, Accounting Management, Performance Management et Security Management [3].

Comparativement, c’est donc tardivement qu’apparaissent les premiers travaux pour une normalisation de la gestion informatique. Ainsi, l’itSMF UK, souche d’une organisation professionnelle aujourd’hui d’envergure internationale, est lancée en 1991 au Royaume-Uni [4]. Parmi ses actifs immatériels figure des droits sur un recueil de modalités de gestion de l’infrastructure informatique ; résultat d’un programme qualité initialisé par l’administration anglaise, ce recueil donnera naissance aux ouvrages ITIL®, Information Technology Infrastructure Library, littéralement une bibliothèque [de pratiques de gestion] en infrastructure de technologies d’information.

Best Practices, langage commun, référentiel SI 
Pourquoi l’Angleterre ? Certains mettent en avant la politique de rénovation de l’administration anglaise menée lors des années Thatcher ; d’autres un lien avec l’état avancé de la dérégulation des télécoms dans ce pays.

Toujours est-il que ces préconisations particulières à l'informatique de l'administration anglaise semblent avoir été progressivement adoptées par les acteurs privés ou publics du secteur informatique au point d’être qualifiées ces dernières années de « Best Practices », « langage commun » ou « référentiel ».

Ainsi, une enquête intitulée « 60 secondes pour apprécier la valeur réelle des Best Practices » et réalisée en 2011 [5] révélait une majorité de répondants pour indiquer que les Best Practices ne pouvaient être considérés comme un business analogue à celui du logiciel (avec ses offres, ses fournisseurs, ses clients, son jeu concurrentiel, sa chaîne de valeur…) et qu’elles n’étaient, somme toute, que du gros bon sens.

Ce credo rejoint d’ailleurs la thèse des « pratiques institutionnalisées » avancées par certains chercheurs [6]. Trois grandes étapes marqueraient la vie de ces pratiques : une étape de « secousses » où le consensus existant est remis en question sous l’effet d’événements exceptionnels, une étape de « pré-institutionnalisation » où des réponses aux ruptures émergent sur le terrain opérationnel, sont reproduites tout en étant conceptualisées par quelques champions, et enfin une étape de maturité où les concepts nouveaux sont constitués en doctrine, les réponses opérationnelles systématisées et portées par des communautés d’intérêts à l’ensemble des acteurs.

Une entreprise en droit d’auteur B2B depuis 1995 
Or, il semblerait que l’on ait plutôt affaire à une véritable entreprise commerciale en droit d’auteur. En effet, pour les ouvrages ITIL diffusés sous [Crown] copyright, outre les représentations de l'itSMF dans plusieurs dizaines de pays, on peut relever quelques éléments troublants :
  • d’abord désignés simplement pour ce qu’ils sont par Government IT Infrastructure Management Method, les manuels de gestion informatique de l’administration anglaise ont été par la suite rebaptisés en ITIL, signe qui a été déposé dès 1995 ; 
  • écrits par le Central Computer and Telecommunications Agency (CCTA), ils sont diffusés sous la tutelle de l’Office Government of Commerce dès 2001 ; 
  • enfin, last but not least, une simple visite des rubriques Intellectual Property des sites officiels montre l’existence de dispositifs de collecte de royalties de marques et de copyright [7].

Commande et entreprise de savoir-faire 
Ainsi, le savoir-faire peut faire l’objet d’une valorisation directe.

Un autre cas d’école dans le secteur informatique est fourni par nos amis des Etats Unis d’Amérique avec la Carnegie Mellon University (CMU).

Au début des années 2000, celle-ci signait avec des partenaires industriels emmenés par une SSII indienne [8] une série d’accords pour écrire et publier et promouvoir une « Best Practice » en gestion d’approvisionnement informatique.

La transaction est remarquable tant par son montant que ses termes : en échange d’un financement supérieur au million de dollars par an, ses commanditaires acquièrent un droit d’utilisation de la Best Practice dont les copyrights seront détenus par la CMU. Mais pour ces commanditaires, il s’agissait de pouvoir démontrer, en institutionnalisant un mécanisme de notation ad hoc cautionné par une université prestigieuse, que l’off-shore était une alternative sérieuse aux développements classiques ; quant au savoir-faire recherché chez la CMU, c'était celui d'une entreprise en Best Practice que la CMU avait acquis avec le référentiel CMMI [9].

Notre enquête « 60 secondes pour apprécier la valeur réelle des Best Practices » suggère que le modèle d’affaires de ce type d’entreprise est largement méconnu.

Leur publicité pourrait inspirer les réflexions en cours sur les mesures à prendre pour installer durablement la France dans le peloton de tête des nations numériques et promouvoir le savoir-faire origine France.






[1] Pour les entreprises françaises, c’est un duopole formé par Bull et IBM.
[2] Union Internationale des Télécommunications, http://www.itu.int
[3] C’est la norme CCITT M.30 dont les « drafts » sont sortis en 1989.
[4] itSMF, UK, www.itsmf.co.uk. ITIL® and IT Infrastructure Library® are registered trade marks of Cabinet Office. En l'absence de travaux académiques d’historiens, il est délicat de faire la part entre l’histoire et la communication d’entreprise et nous invitons nos lecteurs à commenter les cas échéant nos informations.
[5] Réalisée de mai à avril, cette enquête en ligne a la particularité de produire des statistiques transparentes : mises à jour en temps réel, les statistiques sont présentées au répondant ou simple visiteur dès la fin du questionnaire sans obligation d’enregistrement, permettant d’en suivre la construction et en apprécier la pertinence. http://fr1.open-creative-survey.eu
[6] « Réponses stratégiques des gestionnaires de projets SI aux influences des pratiques de gestion institutionnalisées ». Muriel Mignerat et Suzanne Rivard, Congrès de l’ASAC, Juin 2007.
[7] http://www.itil-officialsite.com La politique de gestion des droits étant en cours de révision, l’accès à certaines pages a été supprimé.
[8] Press release Nov 19. 2001, Pittsburgh. “Carnegie Mellon launches system to rate IT-enabled outsourcing services providers with support from Satyam Computer Services, Ltd Accenture and others”.
[9] www.sei.cmu.edu/cmmi/. La Best Practice en question est désigné par eSCM, « eSourcing Capability Model ». Ses droits sont actuellement exploités par une spin-off de CMU, ITSqc LLC


Mise à jour septembre 2018 

Trophée innovation numérique 2015

Le Trophée IT Innovation Forum catégorie Enterprise Mobility / Collaboratif a été décerné à l'innovation frugale Personal MOOC par le vote des quelques 200 membres du Club des Responsables d'Infrastructure et de Production (CRIP) lors de l'IT Innovation Forum du 27 janvier.
Communiqué sur le site de Dô-Khac Decision